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2008-11-12 17 h 58 :: lexpress.fr :: Islande, voyage dans un pays en quasi-faillite

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Message  Invité Mer 12 Nov - 19:52

http://www.lexpress.fr/actualite/economie/islande-voyage-dans-un-pays-en-quasi-faillite_700075.html


Islande, voyage dans un pays en quasi-faillite

Par Jean-Michel Demetz, publié le 12/11/2008 17:15 - mis à jour le 12/11/2008 17:58

A force de surendettement, les banques, les entreprises, les ménages ont déstabilisé l'ensemble du petit Etat insulaire. Qui, au-delà de la catastrophe économique, s'interroge sur son avenir.

"Que faire la prochaine fois? Défiler avec des têtes de cochon au bout d'une pique? Occuper le Parlement? Protester tout nus parce qu'on nous a dépouillés de tout?

- Non, pas tout nus, la température va chuter sous zéro dehors..."

Comment continuer la lutte? Le groupe de manifestants s'interroge à voix haute. Tout à l'heure, ils étaient entre 2 000 et 4 000, sur la petite place du Parlement, au coeur de Reykjavik, la capitale islandaise. La brise marine apportait ce fumet délicat de homard grillé qui, à l'heure du déjeuner, enveloppe le centre-ville. Mais c'est une colère froide qu'exhalaient les protestataires rassemblés dans la dénonciation d'un système politique et financier qui a précipité ce pays de 320 000 habitants dans une quasi-banqueroute.

icelandic Photo Agency/reuters

A Reykjavik, le 10 octobre dernier, les manifestants rassemblés devant la Banque centrale demandent le départ de David Oddsson, gouverneur de l'établissement.

Les Islandais ne sont guère coutumiers des manifestations: les jeunes mères sont venues avec leurs poussettes, le rassemblement ne durera que cinquante minutes et tout le monde se sépare sagement. "Je ne comprends pas l'apathie de mes concitoyens, se désole Hordur Torfason, pionnier de la cause homosexuelle islandaise et l'un des organisateurs du mouvement. Le peuple entier devrait être dans la rue. C'est à croire que nous sommes encore peu nombreux à prendre conscience de l'étendue de la catastrophe."

Les chiffres sont, il est vrai, à peine croyables. Brutalement, au début du mois d'octobre, les trois banques du pays, surendettées - nul ne sait le chiffre précis - ont implosé, entraînant dans leur chute la Bourse (moins 95 %), la couronne islandaise (moins 70%, sa convertibilité est suspendue) et l'économie insulaire. Petits épargnants ruinés, fonds de retraite en chute, emprunteurs étranglés: c'est le bain de sang au pied des glaciers. Suprême humiliation, les experts du Fonds monétaire international (FMI) ont été dépêchés en urgence. Ce petit pays pacifiste se retrouve même inscrit par le gouvernement britannique sur la liste des Etats terroristes! Comment en est-on arrivé là?

Pendant dix ans, la petite république a vogué sur un rythme de croissance annuelle moyenne supérieur à 4%. En ouvrant, à bon escient, son économie sur l'extérieur, les autorités ont actionné le levier de la croissance. Les échanges explosent, permettant le succès de PME solidement installées sur des niches (prothèses, équipements de découpe agroalimentaire). Les investisseurs industriels, notamment dans l'aluminium, débarquent, attirés par une énergie géothermique bon marché.

Mais cette libéralisation des échanges - indéniable réussite - s'est fourvoyée quand le capitalisme industriel a cédé aux sirènes du capitalisme financier. Le boom économique a, en effet, obligé la Banque centrale à augmenter les taux d'intérêt afin de juguler l'inflation. Or, ces taux élevés ont attiré des capitaux internationaux flottants, trop heureux de dénicher un rendement en couronnes bien supérieur à celui trouvé au Japon ou en Europe.

o. morin/afp

Partout dans la capitale, les chantiers sont désormais gelés, faute de crédits.

Des fortunes insolentes se bâtissent. S'endettant sans retenue, les hommes d'affaires islandais, tels de modernes Vikings, enchaînent raid sur raid, raflant ici des magasins (en Grande-Bretagne le prestigieux House of Fraser), là une compagnie d'aviation (Sterling au Danemark). Entre 1998 et 2005, les investissements islandais à l'étranger sont multipliés par 85! Pour le seul Danemark, les investissements directs en provenance d'Islande sont multipliés par 60 entre 2003 et 2007. Les Danois, effarés, murmurent - sans preuve - que l'Islande s'est métamorphosée en lessiveuse géante d'argent sale de la mafia russe.

Plus simplement, cette boulimie d'achats est rendue possible par les banques de l'île, qui, souvent contrôlées par ces mêmes hommes d'affaires, se sont à leur tour lourdement endettées - de huit à dix fois le PIB annuel - et semblent avoir pris en otage le pays. En 2007, le montant des impôts payés par la seule banque Kaupthing dépasse le budget de l'éducation nationale.

C'est le temps où tout paraît possible. L'Islande se range parmi les cinq pays les plus riches du monde (en PIB par habitant). En 2007, l'ONU classe l'île au premier rang pour sa qualité de vie. Pour l'ancienne colonie danoise, si longtemps à l'écart du monde, perdue dans les brumes de l'Atlantique Nord, quelle consécration! Ses habitants sont emportés par une frénésie de consommation. Chacun veut être propriétaire, chaque foyer veut acquérir plusieurs voitures - le 4 x 4 dernier modèle, toujours plus cher, avec lequel on remonte au pas, pare-chocs contre pare-chocs, la principale rue commerçante. Le tout grâce à des crédits étrangers proposés par les banques de l'île: ils sont si bon marché...

Comment ne pas céder à l'euphorie? D'autant que, en 2007, le système de retraite islandais se vante d'être le plus richement pourvu au monde par habitant. "Notre mode de vie traditionnel a été bouleversé, raconte le député conservateur Bjarni Benediktsson, 38 ans. L'an dernier, en moyenne, un Islandais se rendait quatre fois par an à l'étranger. J'ai des amis qui allaient à Londres ou à Copenhague deux fois par semaine. Cette ère-là ne reviendra pas."

o. morin/afp

Les banques se sont endettées de 8 à 10 fois le montant du PIB annuel.

La catastrophe survient quand le robinet de l'épargne mondiale se ferme brutalement, cet automne. La confiance a disparu. A court de liquidités, les banques sont asphyxiées. L'Etat est incapable de les renflouer: elles sont - sur le papier - devenues plus riches que lui. Leurs dettes représentent 7, 8, 10 fois la production annuelle de tout le pays - comment savoir? La valeur des établissements financiers s'effondre. La panique se propage depuis l'étranger. Des centaines de milliers de Britanniques, Scandinaves, Néerlandais qui avaient placé leur épargne sur la banque en ligne Icesave perdent tout. Au Royaume-Uni, des universités comme Oxford, une centaine de collectivités locales, la police de Londres, alléchés par les copieux intérêts promis par les Islandais, se retrouvent lessivés. En gage de futurs dédommagements, le Premier ministre britannique fait saisir les actifs islandais situés sur son sol.

2 foyers sur 3 seraient frappés par le renchérissement du crédit

Dans la petite île, l'effondrement bancaire conduit au désastre. La monnaie chute malgré des taux d'intérêt portés à 18 % pour tenter de la soutenir. Les traites des débiteurs s'envolent mécaniquement. "J'avais contracté un prêt en yens et en francs suisses pour acquérir un appartement, témoigne Kolfinna Baldvinsdottir, l'égérie des manifestations. La semaine dernière, ma traite a subitement triplé. Je ne peux plus payer. Vais-je être saisie?"

Deux foyers sur trois seraient frappés par le renchérissement du crédit. Partout à Reykjavik, les chantiers sont gelés. Les grues immobiles surplombent les immeubles d'appartements de haut standing aux larges baies ouvertes sur les montagnes enneigées qui plongent dans la mer. Près du port, le futur palais des congrès dessiné par l'artiste d'avant-garde Olafur Eliasson offre sa carcasse décharnée aux bourrasques de grêle: nul ne se hasarde à prévoir le destin de ce qui devait être la vitrine glorieuse de la nouvelle Islande.

G. gerault/gamma/eyedea

Finie l'insouciance : 1 Islandais sur 3 envisagerait aujourd'hui d'émigrer.

Le bâtiment licencie à tout-va. Déjà, les premiers immigrés polonais ont quitté le pays et chargé leurs voitures à bord des ferries à destination du continent. L'épicerie polonaise a fermé. Au sein des nouveaux centres commerciaux géants, à la périphérie, les magasins consentent des rabais jusqu'à 50 %. Dans un pays encore soumis à une sévère morale luthérienne, des comportements inédits se font jour : pris à la gorge, certains propriétaires de voitures, incapables de rembourser leurs traites ou de trouver un acquéreur, incendient leurs véhicules afin de toucher la prime d'assurance. Nationalisés en catastrophe, les trois grands établissements bancaires ont licencié d'un coup 20 % de leurs effectifs.

A la tête d'Askar Capital, une petite banque d'investissement, Sverrir Sverrisson mesure les dommages: "Plus aucune banque étrangère ne veut travailler avec des Islandais. C'est le chaos. Tout le système de transferts internationaux est bloqué. Nos importateurs ne peuvent plus payer leurs fournisseurs, ni nos exportateurs toucher leur argent." Les étudiants islandais partis étudier dans des universités à l'étranger - ils seraient 10 000 - sont dans l'incapacité de recevoir des fonds de l'Etat ou de leurs parents. Tout un pays plonge dans une longue hibernation.

"Notre niveau de vie devrait chuter de 10 à 15% d'ici à la fin de l'année prochaine, estime le député Steingrimur Sigfusson, à la tête du Mouvement de gauche-Verts. C'est comme si nous avions subi une catastrophe naturelle, sauf que c'est nous qui l'avons provoquée."

Les rapports alarmistes des experts ont été tus ou ignorés

Dans le même temps, la tourmente économique glisse vers la crise morale. L'Islande sera-t-elle capable de rembourser un jour ses dettes? "En Scandinavie, un ministre démissionne quand il utilise la carte de crédit de son parti pour ses achats personnels, rappelle Orri, 30 ans, fonctionnaire. Chez nous, un petit groupe a conduit le pays à la banqueroute. Et rien ne se passe. Aucun fautif n'a été désigné."

Mis en cause, le gouverneur de la Banque centrale, David Oddsson, ne cille pas. Cet ancien comédien, ex-maire de Reykjavik, ex-Premier ministre, a pris naturellement la tête de l'établissement à la fin de sa carrière politique. Comme si Jacques Chirac, en 2007, avait pris sa retraite à la Banque de France... Le gouvernement semble tétanisé. Le ministre des Finances est, il est vrai, un vétérinaire de formation. Le cabinet a cherché le soutien des pays nordiques, de l'UE, de Moscou. Mais peu d'Etats veulent s'avancer avant de connaître l'exacte ampleur de la catastrophe.

o. morin/afp

Le 8 octobre, Geir Haarde, Premier ministre, sollicite l'aide de la Russie afin de soutenir la monnaie.

Ministres et oligarques se rejettent, par voie de presse, la responsabilité du désastre, quand ce n'est pas la faute à la crise internationale ou au gouvernement britannique. En réalité, c'est un système congénital qui fait la preuve de ses carences. Liens d'amitié, parentèles, relations professionnelles: dans ce petit pays, les intérêts croisés de la politique, de l'économie, des médias se recoupent sans cesse. La femme du Premier ministre a siégé quelques mois au conseil d'une des holdings. Ces mêmes holdings qui étaient actionnaires des banques et restent propriétaires des principaux médias...

Les rapports alarmistes des experts étrangers ont été tus et ignorés. Les contre-pouvoirs ne fonctionnent pas. Dans ces conditions, une petite nation peut-elle survivre en embrassant pleinement la mondialisation et ses mécanismes complexes?

La crise actuelle pourrait remettre en question l'idée même d'indépendance. "La crise islandaise, c'est simple: imaginez le conseil municipal de Rouen appelé à gérer la faillite combinée de la BNP et de la Société générale", explique Keita Stephenson, à la chambre de commerce franco-islandaise. "Il est très probable que le FMI se saisisse de la réalité du pouvoir, prédit Gunnar Haraldsson, professeur d'économie à l'université de Reykjavik. Pour l'heure, le gouvernement se réfugie dans un discours lénifiant." Tout d'un coup, le Parlement islandais avec ses 63 députés - 1 pour 5 000 habitants - paraît bien pléthorique.

L'ampleur de la dette ébranle les fondements du pays. Comment ne pas sabrer dans le généreux modèle social d'Etat providence dont les Islandais étaient si fiers? Comment indemniser les 8 à 15% de chômeurs prévus dans les six prochains mois dans un pays qui, depuis une génération, avait perdu l'habitude du chômage? Comment garder ses jeunes bien éduqués, plurilingues?

Selon un sondage, un tiers de la population envisagerait de quitter le pays. "En restant ici, j'infligerais à mes enfants et à mes petits-enfants le paiement de la dette", se désole Egill, 18 ans. Déjà, des demandes de visa affluent à l'ambassade canadienne.

o. morin/afp

La pêche, une des activités susceptibles d'aider au redressement.

Face à la faillite des élites locales, l'option de l'adhésion à l'Union européenne revient en force. "L'euro nous aurait prémunis de cet effondrement, analyse l'ex-ministre des Affaires étrangères Jon Baldvin Hannibalson. Mais les conservateurs n'en veulent pas, afin de préserver les intérêts particuliers de l'élite."

"Pour se redresser, l'Islande peut compter sur la pêche, le tourisme, l'énergie, plaide Jon Asbergsson, président du Conseil chargé de promouvoir les investissements. On n'est pas le Mozambique, tout de même. Croyez-le ou non, mais les Islandais se perçoivent comme une grande nation." C'est bien là le problème, justement.

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